Une rue du centre-ville de Vigo (Espagne) plongée dans le noir lors d’un blackout en 2025. Début mai dernier, une panne d’électricité massive a brutalement plongé le Portugal, l’Espagne et une partie du Sud-Ouest de la France dans le noir complet. Des millions de personnes se sont retrouvées sans courant, avec des transports, communications et services essentiels paralysés en quelques minutes (Source). Cet événement, considéré comme l’un des pires blackouts de l’histoire ibérique récent, a soulevé de nombreuses questions – d’autant plus que ses causes restent inconnues à ce jour. En tant que témoin indirect de cette crise (suivant l’actualité et les témoignages de proches en Europe), j’en ai été à la fois fasciné et préoccupé. Au-delà du simple fait divers, cette panne géante est venue ébranler nos certitudes sur la fiabilité de notre approvisionnement électrique et sur notre préparation collective face à ce genre de choc. Dans cet article, je vous propose de revenir sur ces quelques heures de chaos, d’analyser le flou qui entoure l’origine de la panne, de mettre en perspective ce retour du “blackout” avec le passé, et d’en tirer des enseignements pour l’avenir. Car entre opacité officielle, spéculations sur fond de cyberattaque ou de transition énergétique, rappels historiques des années 1970-80, et leçons d’expériences récentes (comme celle de l’État d’Amapá au Brésil en 2020), ce coup de semonce nous invite surtout à réfléchir à notre propre résilience. Sommes-nous prêts, individuellement et collectivement, à faire face à un effondrement temporaire du réseau ? Voici quelques éléments de réflexion, avec un regard personnel et engagé, pour alimenter le débat.
Opacité des autorités et théories en pagaille
Au moment de la panne, l’information officielle a tardé à arriver et est restée très vague. Sur le coup, personne ne comprenait vraiment ce qui s’était passé. Les gestionnaires des réseaux portugais et espagnol se sont bornés à évoquer un mystérieux « problème dans le système électrique européen » et des incidents techniques successifs, sans plus de détails (Source). Le centre de cybersécurité du Portugal s’est empressé d’annoncer qu’aucune cyberattaque ne semblait en cause (Source), tandis qu’en Espagne le gestionnaire de réseau (REE) refusait de spéculer publiquement sur l’origine du blackout. Résultat : pendant des jours, les citoyens et les médias sont restés dans le flou. L’information diffusée était confuse et obscure, et le gouvernement n’a pas brillé par sa transparence. Certains analystes estiment même que les autorités ont délibérément retenu des informations pour éviter toute panique ou impact économique immédiat – ce qui peut se comprendre stratégiquement, mais alimente forcément la méfiance.
Dans ce vide explicatif, les théories sont allées bon train. Sur les réseaux sociaux comme dans la presse, chacun avait sa version du “pourquoi du comment”. Une rumeur a évoqué une cyberattaque étrangère de grande ampleur, vite démentie officiellement. D’autres ont pointé du doigt la transition énergétique en cours : un quotidien britannique, The Telegraph, a même affirmé que le gouvernement espagnol menait ce jour-là une expérience extrême pour tester la part maximale de renouvelables sur le réseau, hypothèse immédiatement jugée « totalement fausse » et « manipulatoire » par la ministre de l’Écologie (Source). Du côté de l’opposition conservatrice en Espagne, on n’a pas manqué de mettre en cause l’abandon du nucléaire au profit du solaire et de l’éolien, accusant ces sources d’énergie d’affaiblir la stabilité du réseau. La présidente de REE, Beatriz Corredor, a dû monter au créneau pour réfuter une à une ces spéculations : « il n’y a pas eu d’excès d’énergies renouvelables, pas de court-circuit, pas de surcharge du réseau, ni de cyberattaque » lors de la panne, a-t-elle déclaré, insistant sur le fait que toutes ces pistes étaient infondées. Reste alors la thèse d’une cascade de défaillances techniques : on sait que deux fortes oscillations de fréquence ont été enregistrées peu avant la coupure, suivies en l’espace de 20 secondes par trois incidents dans des sous-stations électriques du sud de l’Espagne. Un enchaînement catastrophique façon dominos, en somme. Mais à ce stade, aucune conclusion officielle n’a encore été rendue publique sur la cause première de cette cascade. Le gouvernement espagnol a mandaté un panel d’experts et promis un rapport détaillé… à paraître dans quelques mois. En attendant, le public reste sur sa faim, et ce déficit de transparence a entamé la confiance. Même l’association des entreprises électriques (Aelec) s’est plainte du « manque de transparence » des autorités, appelant le gestionnaire de réseau à partager plus d’informations avec les acteurs concernés. En tant que citoyen, je comprends qu’on évite de tirer des conclusions hâtives, mais je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine frustration devant ce flou organisé. La lumière (au sens figuré, cette fois) sera-t-elle faite un jour sur ce blackout historique ? Espérons-le, car l’opacité ne fait qu’alimenter les soupçons et empêcher de tirer les leçons qui s’imposent.
Un air de déjà-vu des années 1970 ?
Au-delà des hypothèses techniques ou cyber, cet événement a rappelé à beaucoup des scénarios qu’on croyait révolus. Les plus âgés d’entre nous ont en mémoire les années 1970-80, qui furent émaillées de pénuries d’énergie, de grèves et de coupures de courant à répétition. Personnellement, n’étant pas de cette génération, je n’ai pas connu directement ces périodes, mais j’ai souvent entendu mes parents ou grands-parents raconter « les pannes d’électricité de l’époque ». Des témoignages qui paraissaient appartenir à un passé lointain… jusqu’à ce que le 5 mai 2025 nous donne la curieuse impression de replonger des décennies en arrière.
De fait, l’histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent. Dans les années 1970, en pleine crise pétrolière, de nombreux pays occidentaux ont affronté des situations de ce genre : restrictions d’énergie, coupures planifiées ou subies, etc. Par exemple, la France a connu le 19 décembre 1978 une panne géante qui a privé les trois quarts du pays d’électricité pendant plusieurs heures – « la plus longue qu’ait jamais connue la France », disait-on alors (Source). À Paris, le trafic fut paralysé, le métro bloqué dans les tunnels, des milliers de personnes coincées dans des ascenseurs… Un chaos soudain en pleine matinée d’hiver. Une passante interviewée ce jour-là évoquait « un aperçu du chaos qui peut exister dans les années à venir… un avant-goût » de notre futur si on ne tirait pas les enseignements de l’incident. Cette phrase, prononcée il y a plus de 40 ans, résonne étrangement aujourd’hui. À l’époque, la cause de la panne de 1978 était claire : une rupture de câble combinée à un déséquilibre entre l’offre et la demande d’électricité, le tout ayant fait s’effondrer notre réseau comme un château de cartes. On débat déjà à l’époque du manque de capacités de production et de la nécessité d’économiser l’énergie, anticipant ce qu’on appelle de nos jours la sobriété énergétique. Bref, les “blackouts” massifs, tout comme les chocs pétroliers ou les rationnements, faisaient presque partie du décor des seventies.
Or voilà qu’en 2025, après des décennies de progrès technologiques, de gestion informatisée en temps réel et de communication instantanée, un tel scénario se produit à nouveau en Europe. Certes, chaque contexte est unique : les années 70 avaient leurs problèmes (infrastructures moins développées, contexte géopolitique tendu), et aujourd’hui nous avons les nôtres (réseaux plus complexes et interconnectés, transition écologique en cours, cyber-risques, etc.). Mais les parallèles sont frappants. Comme le souligne Fabian Ommar – auteur survivaliste de Household Preparedness Training – dans la préface de son livre, « les blackouts, tout comme les pénuries, les grèves, les chocs pétroliers ou les conflits géopolitiques, étaient monnaie courante dans les années 1970 et 1980 ». Et d’ajouter que l’instabilité actuelle est au moins aussi grande que celle de ces décennies-là. En clair, nous revivons certaines situations que nos aînés ont connues, dans un monde certes très différent technologiquement, mais toujours soumis aux mêmes lois de la physique et aux mêmes comportements humains. Il aura suffi d’un enchaînement malheureux pour que le quotidien moderne bascule brièvement dans une ambiance à l’ancienne – chandelles, silence des appareils, entraide spontanée dans la rue, et aussi désorientation de toute une population ultra-dépendante de l’électricité. Pour moi qui m’intéresse à l’histoire, ce blackout du 5 mai a vraiment eu un goût de « retour vers le futur ». Il nous rappelle que nos sociétés hyperconnectées ne sont pas invulnérables, et que les surdoses de confiance dans la technologie peuvent être douchées en un instant par un bon vieux effondrement de réseau. C’est une piqûre de rappel salutaire : nos parents et grands-parents vivaient avec la conscience possible du manque et du système D ; nous l’avions peut-être un peu perdue, mais la réalité vient de nous rattraper.
Le cas de l’Amapá en 2020 : un laboratoire grandeur nature
Si la panne de mai 2025 en Europe a été impressionnante par son étendue, notons qu’elle est restée relativement courte (quelques heures à une journée selon les régions). Pour imaginer ce qu’aurait pu être une crise prolongée, il suffit de regarder un exemple récent, moins médiatisé sous nos latitudes : celui de l’État d’Amapá, au Brésil, en novembre 2020. Il s’agit là d’un cas d’école en matière de blackout catastrophique, dont on aurait tout intérêt à tirer des leçons.
L’Amapá est un petit État du nord du Brésil, en Amazonie, peuplé d’environ 800 000 habitants. En pleine pandémie de Covid-19, le 3 novembre 2020, un incendie et une explosion détruisent le principal transformateur électrique alimentant la région (Source). Résultat : 90 % de la population se retrouve plongée dans l’obscurité du jour au lendemain, et pas juste pour une nuit – pour presque un mois en réalité. La nouvelle met plusieurs jours à remonter dans les médias nationaux, tant la région est périphérique. Sur place, c’est la stupeur puis la colère. Les autorités brésiliennes annoncent au bout de cinq jours un rétablissement partiel via un système de rationnement tournant (quelques heures de courant par intermittence), mais la réalité est tout autre : la plupart des localités restent sans électricité, sans eau courante, sans communications, dans une ambiance de chaos total. Très vite, la situation sanitaire se dégrade : plus d’eau potable (pompes à l’arrêt), denrées qui pourrissent faute de réfrigération, hôpitaux en mode survie sur générateurs… Les habitants font la queue sur des kilomètres pour acheter du carburant, des bougies, de la glace. Ceux qui en ont les moyens fuient vers les zones épargnées ou se procurent des groupes électrogènes, tandis que les plus pauvres souffrent terriblement. Des témoignages font état de familles récoltant l’eau de pluie pour boire, ou même buvant l’eau salée du fleuve par désespoir. La chaleur et l’absence de ventilation rendent les conditions de vie très difficiles, en particulier pour les malades et les enfants. Au bout de deux semaines sans amélioration, la population explose de colère : plus de 100 manifestations éclatent à travers l’État. Des barricades en feu sont dressées, les routes coupées. On frôle l’émeute générale face à l’impuissance des autorités locales. Le gouverneur, dépassé, tente de réprimer les protestations à coups de police anti-émeute et même d’un couvre-feu interdisant les rassemblements sous prétexte sanitaire. Il faudra près de 18 jours pour que la situation commence à se stabiliser tant bien que mal, et des semaines avant un retour à la normale complet.
Pourquoi évoquer ce sombre épisode brésilien ? Parce qu’il illustre à quel point une panne électrique de grande ampleur prolongée peut devenir, littéralement, une question de survie quotidienne et de cohésion sociale. À Amapá, on a vu concrètement les stades de dégradation que peut traverser une société privée d’électricité : d’abord la résilience bonhomme et l’entraide (le jour 1, on sort les bougies et on improvise un dîner aux chandelles en rigolant, comme on l’a vu aussi en Espagne en 2025), puis au fil des jours l’angoisse qui monte, les ressources qui s’épuisent, la désinformation qui circule (sans internet ni radio, les rumeurs les plus folles courent), et enfin les tensions et débordements quand la peur et la colère l’emportent sur le civisme. Fabian Ommar – encore lui, qui a longuement étudié cet événement – résume ce scénario dans son ouvrage : « Au bout de 3 jours sans retour à la normale, les esprits s’échauffent ; ceux qui en ont les moyens s’organisent, mais les ‘mauvaises graines’ en profitent pour apparaître : vols, émeutes, chacun pour soi… Peu importe que ce soit un pays riche ou pauvre : les dynamiques psychologiques sont les mêmes, seuls le délai et l’ampleur varient ». Dit autrement, l’être humain reste un être humain, avec ses instincts, partout sur la planète. Si le courant n’était pas revenu en une journée dans la péninsule Ibérique, nul doute que même dans une Espagne « très civilisée », les choses auraient fini par dégénérer également. Les Espagnols, confrontés à un blackout bref, ont majoritairement fait preuve de calme et de solidarité – beaucoup sont sortis discuter dehors, profitant du beau temps, et l’ambiance était presque bon enfant au début. Mais imaginons que la panne dure : on aurait sans doute assisté aux mêmes dérives qu’au Brésil, juste avec un peu plus de délai. Cette fragilité sous-jacente de l’ordre public face à un effondrement prolongé des services, l’Amapá nous en a donné un aperçu tragique. À mes yeux, c’est un signal d’alarme : et si demain, chez nous, le courant était coupé pour une semaine ou plus ? Que ferait-on, concrètement ? Il vaut mieux se poser la question avant, tant qu’on est confortablement éclairés, plutôt que d’attendre d’être en plein black-out pour y réfléchir.
Se préparer en famille : l’heure de la résilience individuelle
Cette question de la préparation individuelle et familiale face aux crises m’a justement beaucoup traversé l’esprit à la suite de ces événements. Honnêtement, avant, j’étais comme tout le monde : je considérais les pannes géantes comme des scénarios hautement improbables chez nous, des trucs de films catastrophe ou réservés à des pays lointains aux infrastructures précaires. Mais l’expérience de ce printemps 2025 a sérieusement ébranlé ma complaisance. Quand j’ai vu la péninsule Ibérique s’éteindre en un clin d’œil, je me suis surpris à faire mentalement l’inventaire de la maison : Combien de litres d’eau potable j’ai en stock ? Ai-je une lampe de poche qui fonctionne ? De quoi manger quelques jours si les magasins ferment ? Un moyen d’avoir des infos si internet et le téléphone tombent en rade ? Autant de questions que je ne m’étais jamais vraiment posées… et dont les réponses, il faut bien l’avouer, étaient loin d’être satisfaisantes.
Je ne suis manifestement pas le seul à avoir eu ce déclic. Depuis quelques années, un courant de pensée encourage les citoyens à renouer avec la culture de la résilience et à développer des plans de préparation aux urgences. Cela va de conseils de base (avoir une trousse de premiers secours, des vivres et de l’eau en réserve, une radio à piles, etc.) jusqu’à des approches plus poussées comme les “exercices de blackout” à domicile. Le livre Household Preparedness Training – Domestic Protocols For Crises And Emergencies de Fabian Ommar, que j’ai découvert récemment, s’inscrit justement dans cette démarche. Son idée centrale : nous pouvons entraîner nos familles à faire face aux crises en simulant par exemple un week-end « off-grid » (sans électricité ni technologie) chez soi, pour identifier où sont nos failles et comment les corriger. L’auteur propose toutes sortes d’exercices pratiques pour apprendre à maintenir sa routine malgré l’absence de services publics, un peu comme un jeu de rôle familial qui aurait de réels bénéfices en cas de coup dur. En lisant ce guide, j’ai été frappé par une chose toute bête : ce sont souvent les savoir-faire de nos grands-parents qui nous manquent le plus. Ommar souligne qu’il a beaucoup appris de ses aïeux, qui vivaient à une époque où les pannes, les rationnements, les systèmes D faisaient partie de la vie – et qu’il a simplement adapté ces connaissances au monde moderne. Faire bouillir de l’eau sur un réchaud, cuisiner avec des conserves, chauffer une pièce sans électricité, occuper les enfants sans écrans, communiquer avec un simple talkie-walkie… Ces choses paraissent anecdotiques, mais en situation de crise elles font toute la différence entre le stress paniqué et une adaptation sereine.
Concrètement, quelles seraient les bases de la préparation pour un blackout ? Les experts (et le simple bon sens) recommandent au minimum : une réserve d’eau (quelques packs de bouteilles, ou mieux un bidon alimentaire, car sans électricité il n’y a plus de pompes donc plus d’eau du robinet au bout de 24-48h), une réserve de nourriture non périssable pour au moins 3 à 7 jours (nouilles, conserves, fruits secs…), des lampes et bougies en quantité avec des piles de rechange, un moyen d’information indépendant (radio à piles ou à manivelle pour suivre les nouvelles), un peu de liquide en cash (si les distributeurs et paiements électroniques ne fonctionnent plus), et bien sûr une trousse de secours pour les petits bobos. Tout cela, c’est le B.A.-BA du kit d’urgence que nos autorités conseillent d’ailleurs officiellement d’avoir chez soi. Mais qui, honnêtement, applique ces recommandations ? Très peu de monde, moi le premier jusqu’à récemment. Peut-être que les mésaventures ibériques vont inciter davantage de foyers à s’y mettre. Car au fond, « c’est le minimum vital que chacun devrait avoir préparé de nos jours », comme le dit Fabian Ommar – c’est presque du « Préparer 101 » pour lui. Et il n’a pas tort : ce n’est pas être alarmiste que de dire qu’un stock de sécurité n’a jamais tué personne, bien au contraire.
Au-delà du matériel, il y a aussi tout un aspect psychologique et organisationnel. S’entraîner en famille, c’est se donner des rôles en cas de crise (qui s’occupe de contacter tel parent âgé, qui va chercher les enfants à l’école si les transports sont à l’arrêt, où se retrouve-t-on si les portables ne marchent plus, etc.), apprendre à gérer son stress, et acquérir quelques compétences de base (savoir couper le gaz, utiliser un extincteur, purifier de l’eau, etc.). Ce qui m’a plu dans l’approche du livre Household Preparedness Training, c’est qu’il ne s’agit pas de sombrer dans la parano ou de se bunkeriser, mais au contraire de mieux vivre les crises quand elles surviennent, de rester autonome le temps nécessaire et de retrouver ainsi un peu de contrôle sur la situation. Cela rejoint finalement une forme de bon sens un peu oublié dans nos sociétés d’hyper-confort : « un homme averti en vaut deux ». Se préparer, ce n’est pas céder à la peur, c’est au contraire refuser de la subir le moment venu.
Pour ma part, sans devenir un survivaliste forcené, j’ai commencé modestement à appliquer certains conseils. J’ai rangé une caisse avec quelques provisions d’urgence et de l’eau au sous-sol. J’ai acheté une radio portable et un chargeur solaire pour les petits appareils. Surtout, j’essaie d’impliquer ma famille de manière ludique, par exemple en faisant un « défi 24h sans électricité » un week-end (les enfants trouvent ça rigolo, on allume des bougies, on joue à des jeux de société…). L’idée n’est pas de vivre dans la crainte permanente, mais bien de se sentir acteur plutôt que victime si un jour le réseau flanche. Et après tout, ces bonnes pratiques servent aussi pour d’autres urgences (tempêtes, inondations, etc.). Chaque foyer gagnerait à réfléchir à son plan B en cas de coupure prolongée. On espère ne jamais s’en servir, mais on est drôlement soulagé de l’avoir quand même sous la main.
Riches et pauvres face aux pannes : un fossé de résilience
Un point m’a particulièrement interpellé en comparant la panne européenne de 2025 et celle de l’Amapá en 2020 : la différence de vécu entre un pays développé et un pays du Sud dans de telles circonstances. En Espagne, comme je l’ai raconté, les gens ont globalement bien réagi durant les premières heures du blackout, et pour cause : ils savaient que ça n’allait pas durer. Effectivement, l’électricité est revenue assez vite, et rien de trop grave ne s’est produit pendant l’incident. Mais imaginez la même situation en Espagne qui se prolonge : le vernis de tranquillité aurait craqué, car les Espagnols (comme nous, Français, Canadiens ou autres habitants de nations riches) ne sont pas habitués à vivre sans le confort moderne. Être privé d’énergie ne serait-ce que 12 ou 24 heures suffit à plonger un citadin occidental dans un grand désarroi – c’est vécu presque comme un enfer, un effondrement du monde normal. À l’inverse, dans de nombreux pays en développement, les coupures de courant font partie du quotidien depuis longtemps. En Inde, en Afrique, au Moyen-Orient, il est courant que l’électricité disparaisse plusieurs heures par jour. À Cuba, par exemple, les apagones (pannes sectorisées) reviennent quasiment chaque semaine depuis les années 1990 (Source). Au Nigeria, Lagos subit en moyenne 6 à 8 heures de coupure par jour – conséquence d’un réseau insuffisant, obligeant habitants et entreprises à recourir systématiquement à des groupes électrogènes. Même des pays plus industrialisés comme l’Afrique du Sud ont instauré un « load-shedding » (délestage tournant) quotidien pour éviter l’effondrement d’un réseau saturé : les Sud-Africains vivent avec des horaires de blackouts programmés, intégrant cela dans leur routine.
Qu’est-ce que cela change, me direz-vous ? Eh bien, cette exposition régulière aux aléas donne paradoxalement aux populations du Sud une certaine résilience pragmatique. On sait qu’on ne peut pas compter à 100% sur l’État ou sur l’infrastructure, donc on développe des stratégies d’adaptation. La plupart des maisons aisées en Afrique disposent d’un générateur ou de panneaux solaires de secours. Les commerces ont appris à sauvegarder leurs stocks et à tenir une comptabilité papier si les caisses automatiques tombent en panne. Les individus sont astucieux : on stocke un peu d’eau, on s’équipe de lampes rechargeables, on s’habitue à terminer la douche à l’eau froide quand le courant coupe le chauffe-eau… Ce ne sont pas des situations enviables, loin de là – il ne s’agit pas de romantiser la précarité énergétique qui est un vrai fléau pour le développement. Mais force est de constater que la “culture du plan B” est plus ancrée dans ces sociétés. Par contraste, dans nos pays dits développés, nous avons tendance à prendre pour acquis la permanence de l’électricité. La moindre micro-panne nous exaspère. Nous n’avons plus l’habitude de la contrainte, et donc nous sommes collectivement plus vulnérables psychologiquement et logistiquement lorsqu’un gros pépin survient. Comme l’écrit Ommar, « être privé d’énergie pendant une demi-journée peut sembler infernal à quelqu’un vivant à Madrid, New York ou Toronto, mais c’est le pain quotidien de nombreux habitants des pays du Sud ». Et même lors de crises globales, les nations riches disposent de plus de marges (infrastructures robustes, services de secours efficaces) – cependant la “distribution de la souffrance” est inégale, ce sont toujours les plus pauvres qui trinquent le plus fortement et le plus longtemps.
Je crois qu’il y a là matière à réflexion pour nos politiques publiques. La fiabilité électrique est un bien précieux mais fragile. Nos sociétés hyper-connectées gagneraient à s’inspirer de certaines pratiques de résilience observées ailleurs. Cela peut passer par encourager la diversification des sources d’énergie locales (par exemple promouvoir les panneaux solaires domestiques avec batteries, pour que chaque foyer ait un minimum d’autonomie), ou encore par des campagnes de sensibilisation pour que les citoyens sachent quoi faire en cas de panne prolongée. Dans les pays nordiques, chaque famille possède des bougies et une radio d’urgence par tradition – c’est dans la culture. En France ou au Canada, on a un peu perdu ces réflexes, sauf peut-être dans les zones rurales. Il ne s’agit pas de sombrer dans la parano du black-out généralisé, mais d’admettre qu’aucun réseau n’est invulnérable et qu’un évènement exceptionnel peut survenir (que ce soit une panne technique, une catastrophe naturelle, une cyberattaque, peu importe). « L’effondrement total façon Hollywood n’arrivera sans doute pas du jour au lendemain dans nos pays développés, mais des chocs en série, de plus en plus fréquents et sévères, peuvent progressivement mettre à mal la société », écrit Fabian Ommar. Et il a raison : avant d’en arriver à des situations extrêmes, il y aura une succession de crises localisées qu’il faudra encaisser. La meilleure façon de s’y préparer, c’est d’élever notre niveau de résilience dès maintenant. Au fond, c’est un défi collectif autant qu’individuel : accepter de consommer autrement, de ne pas gaspiller, de pouvoir passer un moment sans confort, c’est aussi gagner en sérénité et en sécurité.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
La panne géante du 5 mai 2025 aura été pour moi l’occasion d’ouvrir les yeux et de repenser ma manière d’appréhender les crises. Entre la prise de conscience de notre dépendance électrique, l’apprentissage des leçons du passé et l’envie de diffuser une culture de la préparation sans dramatiser, j’en retire une conviction : nous avons tous, à notre échelle, un rôle à jouer pour être mieux préparés et plus résilients face aux aléas de ce siècle. Le sujet vous interpelle ? Vous avez sans doute, vous aussi, des avis ou des expériences à partager. Je vous invite à poursuivre la discussion et à réfléchir avec moi à ces quelques questions ouvertes :
- Selon vous, qu’est-ce qui a vraiment pu causer un blackout d’une telle ampleur en Europe ? Problème technique, erreur humaine, sabotage, fragilité liée aux renouvelables… toutes les hypothèses vous semblent-elles écartées, ou bien subsiste-t-il un mystère ?
- Pensez-vous que des coupures géantes comme celle-ci pourraient se reproduire (voire devenir plus fréquentes) dans votre région ou votre pays ? Vous sentez-vous en confiance vis-à-vis de notre réseau électrique, ou bien anticipez-vous d’autres “surprises” ?
- Enfin, quelle est votre propre astuce ou habitude pour vous préparer aux situations de crise ? Avez-vous mis en place des mesures particulières chez vous pour faire face à une panne prolongée (kit d’urgence, générateur, stock de provisions, etc.) ? Quels conseils donneriez-vous à vos proches pour qu’ils soient parés sans tomber dans l’excès ?
n.b. : Ce sujet mérite d’être abordé sans fatalisme mais avec lucidité. Partageons nos idées et nos solutions – c’est ensemble que nous pourrons renforcer la résilience collective, afin que la prochaine panne, si elle survient, ne nous prenne pas au dépourvu. J’ai hâte de lire vos retours d’expérience et vos réflexions sur ces questions : et vous, que feriez-vous si le noir se faisait chez nous ?